Suisse Avenir

La place financière suisse fait face à une année test en 2014

Letemps.ch

lundi 06 janvier 2014

Par Carlo Lombardini*

 

fiscalité

2014, année test pour la place financière suisse Les établissements s’adaptent à un nouveau monde dans lequel la situation des clients – de tous pays – vis-à-vis de leur autorité fiscale devra être vérifiée. Ces nouvelles règles rimeront avec rentabilité amoindrie. Et avec une facturation au plus près des services proposés

L’année 2014 sera très importante pour la place financière suisse. Elle doit s’adapter au nouveau monde qui est en train de se créer. A cet effet, la plupart des établissements bancaires sont en train de revoir leur portefeuille de clients pour s’assurer, de façon raisonnable, que ceux-ci ne se trouvent pas en situation irrégulière à l’égard de leurs autorités fiscales.

Le Conseil fédéral a, heureusement, abandonné l’idée de créer des devoirs de diligence accrus en matière de conformité fiscale à charge des intermédiaires financiers; nous aurions été le seul pays à procéder de la sorte. Néanmoins, la création d’une infraction spécifique de blanchiment d’argent en cas d’infractions fiscales graves et l’introduction d’une obligation de dénoncer dans de tels cas de figure, proposées en décembre 2013 par le Conseil fédéral aux Chambres, obligeront de facto les intermédiaires financiers à se pencher sur la question de la situation fiscale de leurs clients.

Il est intéressant de relever le changement total d’objectif de la lutte anti-blanchiment. Si on relit les messages du Conseil fédéral relatifs à l’art. 305 bis CP et à la LBA, ils contiennent de nombreuses références à la nécessité de modifier notre ordre juridique de façon substantielle, et en y introduisant des dispositions difficiles à interpréter telles que l’art. 305 bis CP, ce pour lutter contre le crime organisé et des infractions, limitées, de droit commun d’une extrême gravité.

En réalité, le dispositif mis en place va être utilisé pour s’en prendre au citoyen ordinaire qui n’a pas payé ses impôts. La démarche est compréhensible puisqu’il est normal qu’un Etat veuille défendre ses intérêts financiers. En revanche, le changement de finalité est suffisamment important pour mériter d’être souligné. Il modifie de façon profonde la nature même de l’infraction de blanchiment: le blanchiment présuppose des avoirs d’origine criminelle que l’on veut purifier, alors que l’argent sur lequel on ne veut pas payer l’impôt est d’origine propre et reste tel alors même que son propriétaire n’honore pas sa dette fiscale.

Contrairement à ce que l’on peut entendre parfois, la question de la conformité fiscale des clients ne sera pas limitée aux clients de l’Union européenne. Tous les pays sont concernés. Rien ne permettra de traiter le contribuable d’un pays exotique, au régime semi-dictatorial et où l’indépendance de la justice est purement théorique, de façon différente que le contribuable d’un pays de l’Union européenne. Or, il est dangereux d’adopter une approche qui ne tienne pas compte du fait que tous les Etats ne méritent pas le même traitement, tout simplement parce qu’ils ne fournissent pas les mêmes garanties à leurs citoyens.

Nos autorités ont toujours eu peine à comprendre qu’une approche différenciée se justifiait en la matière. L’erreur a déjà été commise dans le domaine de l’entraide pénale où la Suisse a collaboré avec des régimes qui n’auraient jamais reçu une réponse à la moindre requête de leur part adressée à Londres, Paris ou Washington. Et la question de l’extension de la collaboration dans le domaine fiscal à de tels pays se posera.

Cette collaboration pourra avoir lieu soit directement, par le biais de conventions de double imposition prévoyant un échange étendu d’informations, soit indirectement, par le biais de la lutte anti-blanchiment. Dans ce dernier cas de figure, lorsque l’intermédiaire financier suisse aura dénoncé le client étranger aux autorités suisses, parce qu’il pense se trouver en présence d’un délit fiscal qualifié, celles-ci feront ce qu’elles font quasiment toujours: solliciter l’entraide de l’Etat étranger concerné qui pourra recevoir toutes les informations qu’il pourra désirer concernant, par exemple, les comptes en banque d’un homme d’affaires hostile au pouvoir en place. Si l’intermédiaire financier ne dénonce pas le client, il courra le risque, en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral, d’être responsable de blanchiment d’argent par omission.

Par-delà ces considérations juridiques, il faut se rendre compte du fait que ces nouvelles règles vont entraîner non seulement une diminution des actifs déposés en Suisse mais, surtout, une baisse de la rentabilité pour la plupart des établissements bancaires.

Les clients défiscalisés représentaient une clientèle économiquement très intéressante: ils négociaient peu leurs conditions financières, se manifestaient sporadiquement et n’avaient guère tendance à être quérulents. Les clients en pleine conformité fiscale sont beaucoup plus volatils; ils exigent un suivi attentif, ce qui a des implications en matière de ressources mises à leur disposition. L’univers de produits auxquels ils sont intéressés peut être très particulier. Les relevés qu’ils veulent obtenir doivent être établis en tenant compte de leurs besoins fiscaux, ce qui a des implications dans le domaine de l’informatique. Ces clients, qui coûtent cher à être servis, sont dans une position de force pour négocier la rémunération qu’ils accepteront de payer. Il faut par ailleurs pouvoir aller les démarcher, ce qui, en tous les cas pour les clients des pays de l’Union européenne, n’est pas possible compte tenu des règles locales en matière de prestations de services financiers.

Face à cette réalité économique, chaque banque doit se demander si ses prestations et sa structure de frais sont adaptées pour fournir les services qui seront demandés par les clients qu’elle pourra conserver et acquérir. Le «pricing» des prestations devra également faire l’objet d’une réflexion très sérieuse. Les clients seront certainement prêts à rémunérer les prestations de grande qualité. Mais dans le nouveau monde la notion de qualité de la prestation sera fondamentalement différente de ce qu’elle était par le passé. Et, de ce fait également, il semble vraisemblable qu’une partie de la révolution en cours devra être financée par une baisse substantielle des rémunérations que les banques versent.

* Avocat et docteur en droit. Chargé de cours à l’Université de Lausanne

 

 



09/01/2014
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