Suisse Avenir

La saison des soldes

Initiative populaire : Contre l'immigration de masse

16.01.2014 à 10:47

 

Etienne Piguet

 

L’immigration augmente-t-elle ou diminue-t-elle en Suisse? Voilà à première vue la plus basique des questions à laquelle il faut répondre avant tout débat sur le thème...

Pas si facile pourtant! Ainsi, en consultant l’infographie du site de la Radio Télévision Suisse (RTS) on croit comprendre que le solde migratoire annuel (différence entre les entrées et les sorties de Suisse) est passé de + 68'967 personnes en 2010 à + 51’190 en 2012... Diminution de 26% donc!

Mais en consultant le site de l’initiative UDC «Contre l’immigration de masse» le solde migratoire (ici appelé «Bilan») prend l’ascenseur sur la même période de + 64'803 personnes en 2010 à + 73'287 en 2012... Augmentation de 13%!

La différence entre les deux sources est particulièrement spectaculaire pour 2012: 22'097 immigrants semblent créés de toute pièces ou évaporés dans la nature! Qui ment? La RTS, chaîne d’Etat, fait-elle de la propagande? L’UDC, en pleine campagne, manipule-t-elle les chiffres?

 

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Source: RTS

 

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Source: UDC

Remontons d’un cran: la RTS donne comme source l’Office fédéral de la statistique (OFS), l’UDC l’Office fédéral des migrations (ODM). Nouvelle hypothèse: guerre des Offices? Incohérence administrative? Il y a quelques années, le gouvernement britannique a vacillé pour une histoire de statistique migratoire et l’Institut national français de la statistique (INSEE) a parfois été accusé de dissimulation de migrants...

Rassurons-nous, il n’en est rien mais pour s’en convaincre il faut plonger dans les chiffres!

Dans le calcul de son solde migratoire, l’ODM considère comme des immigrants les étrangers qui entrent en Suisse physiquement avec un permis durable (d’une durée ≥ à 1 an), mais aussi les étrangers déjà en Suisse avec un permis non-permanent (d’une durée < à 1 an) qui obtiennent un permis durable (par exemple une étudiante avec un permis L (< 1an) obtient par mariage un permis B (≥ 1an) ou un requérant d’asile (permis N) obtient un statut de réfugié (permis B)). Ces personnes entrent dans la «population résidante permanente». Ce mode de calcul est tout à fait correct dans la mesure où, lors de leur arrivée avec un permis de courte durée, ces personnes n’avaient pas été comptées dans le solde migratoire. Le solde calculé par l’ODM – et donc  les chiffres repris par l’UDC – reflètent donc bien l’impact démographique de l’immigration étrangère en Suisse (évidemment aussi influencée par les naissances, les décès et les naturalisations d’étrangers) mais avec un décalage temporel: certains immigrants comptés en 2012 peuvent être entrés en Suisse avant cette date!

Depuis 2011, l’OFS procède différemment de l’ODM et ne considère pour calculer son solde migratoire de la «population résidante permanente» que les personnes qui entrent effectivement en Suisse au bénéfice d’un permis de longue durée (> 1 an). Les immigrants de courte durée sont comptés dans un solde migratoire de population non permanente d’abord et ils apparaissent ensuite dans une rubrique «changement de type de population». Cette façon de faire est  défendable puisque par ailleurs un solde de population non-permanente est calculé. Le hic est que beaucoup d’étrangers entrent en Suisse avec des permis de courte durée et que les «changements de type de population» sont donc importants. Si on les oublie (comme le fait l’infographie de la RTS), le solde migratoire ne reflète plus correctement l’impact effectif de la migration sur la population résidante permanente. Au vu du changement de méthode, les années 2011/12 ne peuvent en outre pas être comparées aux années antérieures*.

En conclusion, il n’y a pas de solde plus juste ou plus faux que l’autre, disons que celui de l’OFS est techniquement plus exact, mais que celui de l’ODM reflète mieux l’impact effectif de l’immigration sur la population. A titre personnel, c’est une troisième démarche que je privilégie. Elle consiste à calculer, selon une vieille tradition, un solde migratoire total par différence entre l’accroissement de la population et les soldes naturels (naissance – décès), sans distinction entre immigrants/émigrants suisses et étrangers**. Cette méthode est intéressante car elle donne une image fidèle de l’impact démographique de la migration sans s’embarrasser d’une distinction entre nationalités peu pertinente (il y a des naturalisés parmi les émigrants). Elle permet en outre de remonter plus loin historiquement (jusqu’en 1861!). Avantage majeur, ces chiffres ne sont pas touchés par les biais évoqués ci-dessus et par les erreurs fréquentes dans le comptage des entrées et des sorties de Suisse. Pour la période récente, mes chiffres sont inférieurs à ceux du solde de l’ODM car il y a un solde migratoire négatif des Suisses, ils sont par contre supérieurs à ceux du solde migratoire de la population résidante permanente de l’OFS car les changements de types de population sont pris en compte.

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Conclusion de l’enquête: pas de scoop! Après une croissance marquée en 2007/8 qui coïncide avec la levée des contingents pour les 15 anciens Etats membres de l’UE et avec une vigoureuse croissance économique, l’immigration en Suisse est d’une remarquable stabilité. Elle a peu augmenté avec l’élargissement progressif de la libre-circulation aux nouveaux pays de l’UE après 2008 mais force est de constater qu’elle reste en perspective historique et en comparaison internationale de très grande ampleur.

*On notera que les soldes ODM et OFS présentent aussi des différences, plus faibles, avant 2011. Elles s’expliquent par une définition différente de la population résidante permanente étrangère. A noter par ailleurs un autre changement: La population résidante permanente à partir du 31.12.2010 comprend les personnes dans le processus d’asile totalisant au moins 12 mois de résidence en Suisse (consulter la page).

**Sur la base des données historiques de l’OFS (consulter fichier)


Deux références pour aller plus loinHéran, F. 2007. Le temps des immigrés. Paris: Seuil (discussion des soldes migratoires et de leur signification – comparaison internationale). Can, E., N. Ramel, und G. Sheldon. 2013. Effekte der Personenfreizügigkeit auf die wirtschaftliche Entwicklung der SchweizBasel: (FAI) Universität Basel - im Auftrag des Schweizerischen Arbeitgeberverbands (analyse détaillée des soldes migratoires).



18/01/2014
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