Suisse Avenir

Le conflit fiscal avec la France est aujourd’hui gagné par l’incertitude

Letemps.ch

Lundi 13 janvier 2014

 

Par Sebastiano Nessi

 

l’invité

A la suite du refus du Conseil national de ratifier la convention sur les successions, le bras de fer fiscal opposant la France et la Suisse entre dans une phase critique, prévient Sebastiano Nessi, avocat aux barreaux de Genève et de Paris

Avocat aux barreaux de Genève et Paris, LL.M. (Columbia University New York), Allen & Overy, Paris

En 2011, l’Etat français, à la recherche de nouvelles recettes fiscales, informe la Suisse qu’il envisage de dénoncer la convention contre les doubles impositions en matière d’impôts sur les successions, liant les deux Etats depuis 1953.

La convention de 1953, conforme à la solution promulguée par le Modèle OCDE de convention de double imposition concernant les successions, prévoit notamment le droit exclusif de l’Etat de domicile du défunt d’imposer la succession. En d’autres termes, la succession est imposée exclusivement en Suisse si le défunt y réside (au taux de 0 à 7%, alors que ce taux peut atteindre 45% en France: en effet, le barème des taux d’imposition français sur les successions et donations, y compris en ligne directe, est particulièrement progressif). Toutefois, les immeubles détenus en France, en nom propre, par un défunt domicilié en Suisse sont imposés en France, sauf si l’immeuble est détenu via une société civile immobilière (SCI), auquel cas l’impôt est dû en Suisse.

Face aux menaces de Paris de dénoncer la convention de 1953, notre ministre des Finances signait, en juillet 2013, une nouvelle convention au contenu largement imposé par Bercy. Cette nouvelle convention, dont on peut douter de la conformité au Modèle OCDE, prévoyait d’alourdir considérablement la charge fiscale des contribuables concernés (notamment celle des héritiers des 170 000 Français établis en Suisse, et surtout des 190 000 Suisses résidant en France ayant des parents domiciliés en Suisse).

En effet, sous le régime de la convention de 2013, les héritiers résidant en France depuis plus de huit ans sur les dix années précédant l’ouverture de la succession d’un défunt domicilié en Suisse, auraient été imposés également en France sur la totalité des biens meubles ou même immeubles de la succession, et ce, quel que soit le lieu de situation de ces derniers. La convention prévoyait également de supprimer le régime d’imposition des actions ou parts de SCI dont l’actif aurait été constitué d’un immeuble sis en France. Les impôts acquittés en Suisse auraient, par ailleurs, pu être déduits des montants dus au fisc français. Toutefois, la grande majorité des cantons suisses imposant au taux de 0% les successions pour les héritiers en ligne directe, cela serait revenu à soumettre l’héritage au taux successoral français.

Au vu de l’impact négatif considérable de cette nouvelle convention contre les doubles impositions pour les Suisses résidant en France, et afin de ne pas créer un précédent qui aurait pu fragiliser la position de la Suisse dans le cadre de négociations similaires avec d’autres Etats (aucune convention de double imposition n’ayant, à ce jour, été conclue par la Suisse avec un autre Etat sur un modèle comparable à la convention de 2013), le Conseil National a refusé de ratifier ce texte en décembre 2013. Il fait peu de doutes que le Conseil des Etats lui portera le coup de grâce.

Le premier dénouement possible à cette crise serait de conserver la convention de 1953, que la France n’a pas dénoncée à ce jour. La France n’a toutefois aucun intérêt à maintenir le statu quo.

Le deuxième consisterait, pour les deux Etats, à retourner à la table des négociations. Les solutions susceptibles d’emporter l’adhésion de la majorité du parlement suisse consisteraient à limiter le plus possible l’imposition d’héritiers suisses résidant en France, ou à limiter (dans le temps) le droit subsidiaire d’imposition de la France après que le futur défunt a quitté la France. En tout état de cause, nous ne pouvons que suggérer que les négociateurs suisses intègrent la renégociation éventuelle de cette convention contre les doubles impositions en matière successorale, dans le cadre d’une solution globale aux différends fiscaux existant aujourd’hui entre la Suisse et la France.

Le troisième, et le plus vraisemblable, serait que la France dénonce la convention de 1953 sans accepter de négocier, dans l’immédiat, une nouvelle convention. Le droit interne de chacun des deux Etats aurait, dès lors, vocation à s’appliquer. Le régime d’imposition des héritiers résidant en France de défunts domiciliés en Suisse ne varierait, en réalité, guère de celui prévu par la convention de 2013, laquelle entérinait déjà l’application du droit interne français. Ce serait, au final, une lourde facture à payer pour tout héritier d’un défunt résidant en Suisse, si cet héritier avait été domicilié en France au moins six ans au cours des dix dernières années. Les risques de double imposition demeureraient toutefois relativement limités, voire théoriques. En effet, la majorité des cantons suisses ne connaît pas d’imposition sur les successions en ligne directe. L’acceptation éventuelle (bien qu’improbable) de l’initiative populaire fédérale voulant instaurer un impôt fédéral de 20% sur les successions supérieures à 2 millions de francs n’y changerait rien, le Code général des impôts français permettant de déduire de la facture fiscale française, dans une grande majorité de cas, les impôts successoraux payés en Suisse.

Face à cette nouvelle donne, il y a aujourd’hui fort à craindre que de nombreux héritiers potentiels (suisses ou français), actuellement résidents et contribuables français, n’optent pour une expatriation en Suisse, ou que les futurs défunts ne quittent la Suisse pour la Belgique ou le Royaume-Uni, pays auxquels la France n’a pas (encore) imposé le principe de l’assujettissement illimité par le pays de domicile de l’héritier.

 



14/01/2014
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