Suisse Avenir

L’inacceptable délocalisation de l’impôt sur les successions

Le Cercle du Matin Dimanche

 

8 septembre 2013

 

Pascal Broulis, Conseiller d'Etat vaudois

 

Plus j’examine la convention en matière d’imposition des successions que le Conseil fédéral a signée avec la France et moins je comprends comment les négociateurs suisses ont pu parapher ce document. Il délocalise en effet en France des pans entiers de souveraineté fiscale, en l’occurrence de la souveraineté des cantons qui sont compétents pour imposer les successions.

J’aimerais rappeler comment est né l’impôt sur les successions. Au début du XIXe siècle, alors que l’espérance de vie des femmes était bien inférieure à celle des hommes, les remariages étaient fréquents et les enfants de la première épouse se voyaient souvent reniés, avec le risque de tomber dans la pauvreté, puis à l’assistance publique. Une protection étatique a été réclamée et des lois sur les héritages ont été édictées. L’impôt sur les successions est la contrepartie de cette protection que seul l’Etat de résidence du défunt peut assurer, car c’est lui qui a le contrôle de la succession. C’est pour cela que c’est cet Etat qui prélève l’impôt, ce que recommande d’ailleurs l’OCDE qui en fait le principe général de ses conventions.

Il est donc intellectuellement faux de prévoir, comme le fait la convention avec la France, une imposition au domicile de l’héritier. D’autant que les conséquences d’un tel transfert de compétences s’annoncent exorbitantes. Pour peu qu’il soit établi dans l’Hexagone depuis plus de huit ans, l’héritier suisse d’un parent suisse ayant toujours vécu et travaillé en Suisse et y ayant constitué son bas de laine se verrait taxé (jusqu’à 45%) par la France. Et cela concernerait également les immeubles, en rupture avec la règle usuelle qui veut que ceux-ci soient imposés à leur lieu de situation. Une règle elle aussi parfaitement fondée car la valeur d’un bâtiment est influencée par les décisions de l’Etat qui l’abrite (infrastructures d’accès ou de protection, lois sur l’aménagement du territoire, etc.)

Pour résumer, la France aurait un droit de regard – et de perception – sur des patrimoines n’ayant absolument rien à voir avec elle. Et il faut s’attendre à ce que ce droit soit fréquemment exercé: à l’heure actuelle, quelque 180 000 Suisses sont installés en France.

Le fisc français aurait encore le droit d’évaluer si un déménagement en Suisse, quelques années avant un décès, est motivé par le désir de lui échapper. S’il estime que oui, le contribuable considéré resterait entièrement de son ressort. C’est une insécurité supplémentaire et un autre affaiblissement de la souveraineté fiscale cantonale.

Cette convention choque. Le Conseil national l’a déjà manifesté en adoptant une motion enjoignant au Conseil fédéral de n’accepter en aucun cas que des immeubles sis en Suisse puissent être taxés par un autre Etat.

Je pense, pour ma part, que le Parlement, qui doit encore se prononcer, ne peut ratifier un tel texte. Il ne manquerait pas d’être ensuite pris pour modèle par d’autres pays. Il donnerait un signal: la Suisse cède sans contrepartie. Mieux vaut s’accommoder d’une absence de convention.

Je reste enfin persuadé qu’un tel dossier doit être inscrit dans une approche beaucoup plus générale. Notre relation avec la France est multiple, les liens économiques sont denses, près de 140 000 frontaliers français viennent travailler dans notre pays. Nos intérêts sont inextricablement liés et ce n’est qu’en tenant compte de cette vision globale que nous pourrons aboutir à des accords équilibrés.

 

 



28/09/2013
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