Suisse Avenir

Panique générale chez les évadés fiscaux

Bilan.ch

 

28 Octobre 2013

Par Mary Vakaridis

Sommés de se régulariser par les grands établissements suisses, les fraudeurs français n’ont plus que deux mois pour obtempérer.

 

Guerre fiscale

C’est la panique générale. L’expression n’est pas trop forte pour décrire les affres que vivent les évadés fiscaux français. Les clients de Credit Suisse Group et UBS, ainsi que des principaux établissements privés, ont été sommés cet automne de se mettre en règle avec leur fisc. Ou de déguerpir ailleurs avec leur argent avec un délai fixé à fin 2013. Il ne leur reste donc plus que quelques semaines pour régler le problème. Les avoirs français non déclarés placés en Suisse sont estimés à plus de 100 milliards d’euros.

Vendredi dernier, le Sénat français a encore exclu toute possibilité d’amnistie. L’Etat français enregistre ainsi des régularisations en masse. D’autres se font pincer en tentant de rapatrier discrètement leurs fonds. Début septembre, Le Parisien relatait une explosion de «plus de 500% des saisies d’argent liquide», s’appuyant sur une note interne de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières. Un bon au porteur de 86 millions de dollars dont le détenteur quittait la Suisse pour la France avait été intercepté par la douane, a relaté Le Temps.

Solutions rocambolesques

Dans le sauve-qui-peut, certains choisissent des solutions rocambolesques, comme de louer un coffre chez une société qui offre ce service sans exiger l’ouverture d’un compte bancaire. Sur Bilan.ch, notre blogueur “Quartier des banques” propose quant à lui de repasser la frontière avec des pièces d’or. Une solution tout aussi déconseillée par nos interlocuteurs.

“Beaucoup de clients non déclarés ne croyaient pas que la situation pouvait changer aussi vite. Le coup d’estoque est venu de la lettre de leur banque les enjoignant de se régulariser ou de quitter l’établissement. Ils ont été abasourdis par la brutalité de cette missive mettant un terme à des relations bancaires vieilles d’une trentaine d’années”, dit un observateur.

Schématiquement, disons que les gros comptes - 20 millions d’euros et plus - ont déjà quitté la Suisse. Leurs détenteurs se sont mis à l’abri de trusts anglo-saxons qui oblitèrent le nom du véritable bénéficiaire. Des constructions juridiques coûteuses inaccessibles au “petit” fraudeur. Les citoyens aujourd’hui dans le désarroi détiennent des montants allant jusqu’à 4 millions d’euros, souvent issus d’héritages.

Certaines banques acceptent encore les fonds gris

Alors que faire de ses avoirs gris? Les banques proposent à leur clients de leur verser une enveloppe en liquide et de virer le reste ailleurs. Or en Suisse, plus aucune banque n’accepte d’argent non déclaré. Mais certaines petites enseignes accueillent encore ce type de fonds. “Vous seriez étonné par le nombre de sociétés qui pratiquent de la sorte aujourd’hui. Ce qui est une pure folie. Ces banques se feront prendre comme UBS l’a été en 2009 et elles vont sombrer, frappées par des amendes monumentales”, relève l’avocat vaudois Philippe Kenel.

Nos interlocuteurs sont unanimes: il n’y a pas d’autres solutions que la régularisation. Méfiez-vous des gestionnaires qui proposent des solutions sous la forme d’assurance-vie basée au Luxembourg ou le virement des fonds à Dubaï ou au Liban.

Le cash? Sous pression, les banques suisses limitent les retraits d’espèces parfois jusqu’à 25000 francs, comme le mentionnait Bilan. “Aucune banque n’acceptera de dépôt en cash de nos jours. Il ne sert à rien d’enterrer l’espèce dans son jardin car si l’Union ou la Suisse modifie les billets, vous ne pourrez pas les changer au guichet”, poursuit Philippe Kenel.  

L’immobilier? La vente de propriété aux étrangers est limitée en Suisse par la Lex Koller. L’acquéreur est en outre obligé d’acheter en son nom propre. Investir dans bureaux à louer? Le produit de la location devra être versé sur un compte ouvert en Suisse, donc traçable.

L’achat d’or: risqué et compliqué

Acheter de l’or et le cacher? Soumis aux aléas du marché, le métal jaune sera en outre compliqué à revendre. Acquérir une oeuvre d’art? “En France, l’art n’est pas comptabilisé dans la fortune, cela peut être intéressant. Mais il faudrait encore courir le risque de faire passer la frontière à votre tableau. Notez que dans tous ces cas de figure, l’argent est immobilisé et vous ne pouvez pas vous en servir. Les détenteurs de comptes passaient quelques fois par an à Genève pour retirer 10000 francs en espèce. Il est moins aisé de faire un saut à Hongkong pour effectuer la même opération.”

Alors, tout donner à des oeuvres de charité? “Ne faites jamais ça!”, s’exclament Douglas Hornung, avocat à Genève comme Philippe Kenel. Une fois que le fisc vous aura retrouvé, vous n’aurez même plus les moyens de payer l’amende.”

"Le monde a changé"

Philippe Kenel est catégorique: “Le monde a changé. L’évasion fiscale n’y est plus tolérée. Des places aujourd’hui peu regardantes comme Hongkong et les Bahamas seront aussi à terme mises au pas. Singapour a déjà pris déjà pris des mesures dans ce sens.”

Douglas Hornung ajoute: “Avec le Diktat fiscal imposé par Washington à la Suisse à la fin août, les Etats-Unis ont obtenu une transparence totale qui va aboutir à l’éradication de l’offshore américain des banques suisses. Il est illusoire de croire que l’Union européenne ne pourra pas accéder à tous les comptes d’Européens sous offshore dans les mêmes conditions dans un avenir proche. Pour les clients, il n’y a aucune échappatoire. Les banques seront tenues de fournir des informations de manière rétroactive sur plusieurs années. Cette transparence permettra aux fiscs étrangers de retrouver la trace d’anciens comptes soldés ou transférés, même avant 2009, vers d’autres paradis fiscaux.”

Le coût de la régularisation

Bref, passons au chapitre de la régularisation. Les citoyens concernés sont souvent les petits-enfants des clients français qui ont ouvert les comptes. Leurs parents prélevaient les revenus de la fortune déposée en Suisse. Mais dès les années 2000 et la crise européenne, les propriétaires ont commencé à entamer leur capital.

Les pénalités pour les fraudeurs venant régulariser leur situation sont modulées de 15% pour ceux qui fraudent de manière passive à 30% pour ceux qui ont été plus loin que de simplement “oublier” d’annoncer du patrimoine. La France promet actuellement aux évadés une pénalité moins élevée que s’ils se faisaient prendre lors d’un contrôle fiscal. S’il y a eu héritage depuis l’ouverture du compte, 40% à 60% de droits de succession s’ajoutent encore. Sans oublier les intérêts de retard.

Quelqu'un qui ne serait pas en mesure de justifier l'origine des avoirs non déclarés risque d’y laisser 100% des montants placés, déclare l’avocat Frédéric Naïm au Figaro.fr. Le gouvernement garantit toutefois qu’il n’y aura pas de poursuites pénales, l’une des plus grandes craintes des contribuables songeant à se régulariser.

Ces citoyens ne disposent pas d’une fortune suffisante pour envisager de s’expatrier. Une solution d’ailleurs peu praticable pour les actifs. Autre problème: la descendance restée en France sera taxée selon les barèmes hexagonaux et non plus suisses, selon la convention fiscale sur les successions signée cet été. En clair, ces fraudeurs - souvent des entrepreneurs qui contribuent pourtant à la production de richesses dans leur pays - sont absolument coincés.

Des clients encore peu conscients des risques

“Je fais ce métier depuis 30 ans et je n’ai jamais vu mes clients français montrer un tel ras-le-bol, un tel défaitisme face à l’avenir de leur pays, témoigne un gestionnaire de fortune à Genève. Beaucoup d’entre eux sont des patrons dans la cinquantaine, déjà lourdement taxés sur leurs activités. Lorsqu’ils réalisent la part que l’Etat va prélever de leurs avoirs non déclarés, leur lassitude fait place à une volonté de fronde.”

Mais attention, souligne le gestionnaire: “Les clients, ne sont pas encore conscients des risques qu'ils encourent avec la nouvelle loi des finances qui entrera en vigueur probablement au début 2014. Les peines de prisons seront plus lourdes dans les cas de fraude fiscale aggravée. En outre, rien n’exclut que les banquiers suisses ne soient à terme pas poursuivis pour complicité, comme c’est l’usage aux Etats-Unis.”

 



12/11/2013
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