Suisse Avenir

Suisse • Non à l'immigration !

Courrierinternational.com

10 février 2014

 

Les citoyens suisses ont adopté à une courte majorité une proposition de texte qui rejette "l'immigration de masse". Un vote qui risque de remettre en cause la place de la Suisse en Europe et qui suscite des réactions au sein de l'Union.


Vu de Suisse Romande


"Une victoire qui gifle l'autre Suisse", explique Le Temps, qui titre en une : "Bruxelles, nous avons un problème...". Il oppose "sérénité romande" et "aveuglement alémanique", regrettant "la dynamique hystérique sur la surpopulation et le dumping salarial qui s'est développée au fil des semaines". Le quotidien de Genève estime que la Suisse "rembobine le film de l'histoire" en faisant le choix de reprendre le contrôle de ses frontières. "Le choc est d'autant plus sévère pour le gouvernement et l'establishment politique que c'est la première fois, depuis 22 ans, que le peuple refuse des propositions d'ouverture", poursuit le journal.

Le Temps assure qu'il faut "s'interroger sur les leçons et les conséquences de ce vote". La Suisse, dit-il, est "probablement l'un des pays les plus internationalisés au monde". Mais à l'évidence, une partie de la population "ne comprend plus la logique des échanges et semble n'en percevoir que les aspects négatifs". Il regrette un manque d'explications sur les dossiers concernant l'Europe (recherche, énergie, finance...) par le gouvernement fédéral de Didier Burkhalter, un silence "qui se paie cash dans les urnes".

Enfin, il déplore une situation "intolérable" provoquée par l'UDC, un parti d'opposition populiste qui fait fi des intérêts du pays, qui "a franchi la ligne rouge" et qui risque de faire dérailler le mécanisme d'horlogerie fine qu'est le système politique suisse. Et de conclure : "Le peuple a tranché, mais il n'a pas toujours raison !"

De son côté, la Tribune de Genève parle dans son éditorial d'un "dimanche noir", en référence au refus de la Suisse d'intégrer l'Espace économique européen, en 1992. Le quotidien relève un paradoxe : en 1992, les plus conservateurs, et notamment l'UDC, avaient milité contre l'EEC, et prôné une relation bilatérale avec l'UE "en espérant mettre ce pays à l'abri du risque européen". Mais avec cette "magistrale gifle à l'Europe", ce sont ces mêmes conservateurs qui "exposent aujourd'hui la Suisse à tous les vents".

 

Vu de Suisse Alémanique


"C'est bien pire qu'une claque politique, c'est une césure," écrit le rédacteur en chef de la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), Markus Spillmann. Une césure comparable à celle du 6 décembre 1992, lorsque l'Espace économique européen a été rejeté dans les urnes. "Le verdict est clair, poursuit-il, même s'il est d'une très courte majorité. Les initiateurs issus de la droite se sont imposés contre le gouvernement, contre une majorité parlementaire, contre tous les partis de gouvernement, contre les milieux économiques et leurs fédérations, contre les syndicats et contre les recommandations de presque tous les médias, y compris de notre journal." L'impact de ce vote sur les relations entre la Suisse et l'UE, estime Spillmann, est "totalement ouvert - mais il n'en sortira assurément rien de bon pour l'économie et donc pour la prospérité de ce pays."

"Le triomphe politique revient à l'UDC et à sa figure tutélaire, Christoph Blocher, qui donne le ton depuis des années en matière de politique d'immigration et exerce son influence sur la droite modérée et les milieux économiques libéraux. Ceux-ci n'ont pas réussi à désamorcer honnêtement et rationnellement les inquiétudes réelles et les craintes diffuses de beaucoup de gens face au nombre croissant d'étrangers - que cela touche à l'emploi, au logement, aux transports ou à l'éducation." Enfin, conclut la NZZ, "c'est la Suisse tournée sur elle-même qui a gagné. Pour une petite économie, ouverte sur l'extérieur et sans grandes ressources, ce n'est pas du tout un bon signe."

"C'est un coup de tonnerre politique, mais la Suisse ne va pas s'effondrer," tempère le rédacteur en chef adjoint de Tages-Anzeiger/Bund, Patrick Feuz, qui analyse, dans les colonnes du quotidien de Berne : les raisons de ce vote ne s'expliquent pas par la xénophobie et la volonté de se fermer au monde, mais par la concurrence accrue, la pression salariale, les loyers à la hausse qui ont poussé les citoyens à lancer un signal de protestation. "Que le 'oui' soit particulièrement fort dans des régions peu touchées par l'immigration ne signifie pas qu'il faille négliger l'inquiétude [de ces électeurs]. Un sentiment de malaise est généralement diffus. (...) Et il dépasse certainement les 50,3 % - car beaucoup d'électeurs ont voté 'non' en raison du fait que l'initiative venait de l'UDC." Le plus grand dommage, estime Feuz, est que ce vote crée une insécurité juridique nocive pour l'économie, notamment pour les groupes industriels, comme ceux de l'électricité qui s'apprêtaient à négocier avec l'UE.

Heureusement, ajoute le journaliste, l'UE n'a aucun intérêt à ce que s'enveniment les relations avec Berne. Cependant, en matière d'immigration - à la veille des élections législatives de mai -, Bruxelles ne pourra créer un précédent et accepter des contingents de migrants. Par peur d'ouvrir une brèche dans laquelle s'engouffreraient tous les partis de droite européens.

"Reste que les problèmes de la population ne se sont pas dissipés avec ce vote, souligne le quotidien de Berne. Beaucoup ont fait savoir qu'ils voulaient une Suisse plus respectueuse de la nature et de l'environnement et une Suisse qui ménage les gens qui travaillent. Si les politiques ignorent cela, ils se préparent à vivre d'autres déconvenues sévères."

 

Vu du Portugal


Le Portugal semble directement concerné par le résultat du vote helvétique : ces dernières années, c'est de ce pays qu'est parti le plus important contingent d'immigrés de l'UE à destination de la Suisse. L'éditorial du journal portugais Público résume de façon laconique la problématique du résultat du référendum suisse : "La droite nationaliste a gagné, l'Europe a perdu". L'impact d'une limitation de l'immigration se fera nécessairement sentir au Portugal car, selon le sociologue José Carlos Marques cité par un article du quotidien, "sur les cinq dernières années, la population portugaise résidante en suisse a augmenté de 154 731 habitants, ce qui en fait aujourd'hui la troisième population étrangère du pays (318 000 personnes)", après les Italiens et les Allemands.

Si l'immigration portugaise en suisse ne date pas d'hier (sur ce sujet lire l'article publié par Courrier International), elle s'est accélérée depuis le début de la crise économique en 2008. Les arrivées de migrants portugais se font parfois dans des conditions difficiles. Depuis quelques années, les journaux portugais signalent régulièrement des situations où des concitoyens dorment dans les gares ou les trains suisses, ce qui a poussé l'Eglise portugaise à ouvrir des permanences pour porter secours aux migrants en détresse, mal préparés et dépassés par les prix suisses. Selon le Público, des immigrés portugais installés depuis longtemps en suisse s'organisent désormais pour distribuer de la nourriture dans les stations de trains. Et, selon le Diário de Notícias, ces immigrés "s'inquiètent du résultat du référendum" et réfléchissent à demander la nationalité suisse.

 



10/02/2014
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